15-16 juin 2018. Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponsibles.
Musée des Arts et Métiers
60 rue Réamur
75003 ParisMétro:
Lignes 3 et 11: Station Arts-et-Métiers
Ligne 4: Station Réaumur-Sébastopol
Hervé Inglebert: herve.inglebert@parisnanterre.fr
Sandra Kemp: sandra.kemp@lancaster.ac.uk
Programme
Vendredi 15 juin: Les universalités muséales occidentales
Samedi 16 juin: Les nouvelles universalités muséales
Abstracts
Histoire globale et musées universels contemporains
[À venir]
Nous et les autres: universalités et hiérarchies muséales
Si le siècle des Lumières cherchait à comprendre le monde en le rassemblant au sein du musée universel, il y eut ensuite, à la fin du XIXe siècle, dans les musées britanniques, un mouvement grandissant visant à se comprendre « soi-même », à commémorer et à se remémorer ses racines, et à insister sur des identités plus locales fondées sur une histoire commune. Un tel élan peut être suivi et analysé au cours du XXe siècle à travers l’essor des musées « populaires » et de la montée de l’histoire sociale dans les musées, dont on a récemment admis l’importance dans le développement de l’enseignement de l’histoire pour un large public. Cette communication examinera cet essor et questionnera dans quelle mesure une telle tendance a pu supplanter les grands musées nationaux universels créés par les Lumières, ou jusqu’à quel point ils n’ont fait que les compléter, à une plus petite échelle au niveau local ; on se demandera également quelles contraintes et quelles opportunités agissent sur les musées à identité communautaire dans le nouvel environnement mondial actuel, où l’universel représente encore le sommet de la hiérarchie, mais où le tourisme promeut souvent l’unique et le particulier.
Les origines du musée universel
Si la logique du musée universel est partiellement consubstantielle à son origine (on songe entre autres au Mouseion d’Alexandrie), l’utilisation du mot est nettement plus récente. Son emploi, dans le cadre de la Déclaration sur l’importance et la valeur des musées universels, en 2002, a remis le terme à l’ordre du jour. Mais à partir de quel moment celui-ci émerge-t-il réellement ? Que signifie-t-il et quel est alors son rayonnement ? L’objet de cette intervention vise, à partir d’une brève enquête sur l’origine de ces deux mots et à leur utilisation durant les XIXe et XXe siècle, à resituer les enjeux sous-jacents du musée universel, dans le sillage du développement des grandes institutions, qui vont permettre de le voir resurgir à nouveau, au début du XXIe siècle, dans un contexte marqué par les post-colonial studies et les demandes de restitutions.
Le Primitivisme du Musée Universel
La déclaration de 2002 de certains des plus grands musées du monde, selon laquelle ils étaient « universels », a ravivé et redéfini le concept du musée universel. Les signataires et les partisans ultérieurs affirment que la présentation de collections de portée encyclopédique leur permet, selon Neil MacGregor, ancien directeur du British Museum et désormais directeur artistique du Humboldt Forum, de « présenter le monde comme un tout ». Bien différents des instruments idéologiques de l’oppression que représenteraient le relativisme post-moderne et la Théorie critique, le musée universel serait l’incarnation des Lumières, des idéaux libéraux de vérité scientifique objective, de l’internationalisme culturel et de la liberté individuelle. La présentation de collections des musées universels favoriseraient ainsi la réflexion critique et la tolérance. Je soutiendrai que ces arguments sont biaisés, car leur principal objectif est de protéger les musées contre les demandes de restitution. Ce n’est pas que ces réclamations soient intrinsèquement justifiées, mais leur contestation conduit les musées à concevoir des généalogies contournées de leurs institutions, à déformer l’histoire de leurs collections, à prendre des décisions illégales concernant les collectes d’objets et à revendiquer pour la présentation de collections un impact qui n’est pas empiriquement vérifié. Les nouveaux « musées universels » ont ainsi développé une identité qui, par manque de conscience de ses distorsions mythopoétiques, est profondément primitive. Je terminerai par des exemples de musées qui, même s’ils ne sont pas encyclopédiques, peuvent prétendre plus justement à être universels.
La place des objets islamiques dans les collections occidentales
Le point de départ de cet exposé est l’idée de l’existence de différents types de musées, dont le musée dit universel, comme éléments d’une chaîne discursive. En d’autres termes, ce qui trouve place dans la vitrine d’un certain musée s’absente d’un autre. Au XIXe siècle, lorsque les musées européens sont passés du statut de cabinets de curiosité multidisciplinaires à celui d’institutions de plus en plus spécialisées, des processus d’inclusion et d’exclusion ont commencé à se développer. Au cours de ce développement, les objets occidentaux et non occidentaux qui étaient autrefois exposés ensemble ont alors été séparés. Les musées de la culture occidentale, parmi lesquels les musées d’art ou d’antiquités européens, et les musées de cultures non occidentales, comme les musées d’art asiatique et les musées d’ethnologie, ont commencé à fonctionner comme des vases communicants.
Cet exposé examinera ce mouvement et ce qu’il signifie pour les musées aujourd’hui. L’accent sera mis sur les collections du Moyen-Orient et de l’Islam. Constitués d’objets provenant de régions « intermédiaires », le destin de ces collections a d’éclairantes histoires à raconter sur la façon dont l’identité et la culture sont définies et négociées. Je soutiendrai qu’il est nécessaire de défaire les cadres d’exposition dichotomiques qui sous-tendent la présentation de ces collections, afin de rendre les musées plus pertinents, compte tenu des défis complexes de représentation auxquels ils sont confrontés aujourd’hui.
Les galeries du Conservatoire des Arts et Métiers: de l’universalité de la technique au musée global
Les galeries du Conservatoire des arts et métiers constituent-elles un « musée universel »? Le Conservatoire n’est pas un musée, mais une institution créée pour soutenir l’industrie nationale. Ses galeries ne se sont constituées en musée que très récemment à l’échelle de la fondation de l’institution en 1794 : ce n’est en effet qu’en 1963 qu’elles prennent l’appellation « Musée national des Techniques ».
Le bicentenaire du Conservatoire des arts et métiers a suscité des travaux historiques majeurs pour la connaissance de cette institution. S’inscrivant dans cette dynamique, la rénovation du musée, dans les années 1990, a permis de redécouvrir les collections et de renouveler ce champ historiographique. L’histoire des collections et des pratiques de gestion constituent le fil conducteur de recherches nouvelles et interrogent son identité.
Ces travaux nous permettent aujourd’hui d’appréhender la question de l’universalité à propos du Musée des arts et métiers. Nous nous proposons d’étudier le changement de paradigme que cette institution connaît au cours de son histoire: lieu d’universalité de la technique; lieu où se construit une histoire universelle des techniques; musée global.
Les universalités du Louvre des lumières: entre fiction et réalité
Cette communication a pour thème la question de l’identité du modèle universel incarné par le musée du Louvre depuis sa création au 18e siècle. Il s’agira d’envisager les différentes approches qui, au fil du temps, ont conduit à (ré) écrire son histoire. La manière d’écrire cette histoire répond –elle à des enjeux d’ordre politique et étatique qui concourent à son caractère unique? Ainsi Simon Knell (National Galleries, Routledge, London, 2016) s’est interrogé sur le poids des états – nations dans l’accomplissement du récit muséal. L’épistémologie contemporaine irait –elle dans le sens d’une déconstruction de ce récit ? L’histoire du Louvre pourrait –elle se renouveler dans une perspective « transnationale » à travers notamment le rôle dévolu à la muséographie et la place des collections dans l’institution muséale ? La question du statut de l’objet de musée dans nos sociétés occidentales post-coloniales (Nicholas Thomas, The Return of Curiosity, London, 2016) interroge d’autant plus le paradigme de l’universel dans le cas du Louvre.
Le Musée Universel au XIXe siècle – et son ombre
Au cours du XIXe siècle, le musée universel est devenu une caractéristique essentielle de tous les grands empires qui luttaient pour la suprématie en Europe. Ces institutions étaient fondées sur des principes historiographiques chargés d’idéologie. Depuis la parution de « Provincialiser l’Europe» de Chakrabarty, il est devenu beaucoup plus aisé d’analyser ces vestiges idéologiques du passé. Je vais essayer de montrer comment, aujourd’hui encore, notre devoir est de déconstruire cette forme de musée dans les moindres détails.
Une science en devenir? ‘Le Musée des Monuments des peuples non-Occidentaux’ et les méthodes de comparaison au début du XIXe siècle en France
L’exposé vise à souligner le rôle des musées au début du XIXe siècle en France en tant que lieux où l’ethnographie, l’art et les études antiquaires partageaient des valeurs épistémiques et des pratiques fondées sur l’étude et l’interprétation d’objets matériels. Comment l’étude des objets non-européens a-t-elle permis aux historiens d’art et antiquaires de poser des questions qui furent cruciales, et comment les méthodes et techniques qu’ils ont développées ont-elles fourni un cadre épistémologique pour analyser l’importance des liens entre les civilisations anciennes et actuelles ? Dans quelle mesure l’étude des objets matériels a-t-elle contribué à révéler de profonds points communs entre l’ethnographie, l’art et l’antiquarisme ? Quel était le rôle exact des musées en tant que fournisseurs de vastes collections servant aux comparaisons entre différentes cultures et périodes?
Centrée sur la proposition du baron de Férussac de la création d’un Musée ethnographique consacré aux monuments des peuples extra européens (1826) au musée du Louvre, l’exposé analyse d’une part les implications épistémologiques de la transposition de la notion de monuments aux objets non occidentaux ; pourquoi ce musée a-t-il été envisagé comme un complément, aussi bien géographique que chronologique, au musée du Louvre ? D’autre part, l’exposé explore les spécificités de la méthode comparative qui sous-tend l’étude des monuments appartenant à des temps lointains et à des lieux géographiques différents. Il cherche aussi à souligner, à la suite des précieuses intuitions d’Arnaldo Momigliano, les différentes façons dont les études antiquaires ont façonné le développement de l’ethnographie au dix-neuvième siècle, ses méthodes ainsi que ses objets d’enquête.
La disjonction entre les temporalités évolutionnistes et universelles dans les films du Musée de l’Homme
Suivant la réunion par Paul Rivet des collections de cultures matérielles et d’ostéologie dans l’intention d’analyser et de promouvoir la notion d’« indivisibilité de l’humanité à travers l’espace et le temps », cet exposé examinera comment le film, en tant que média temporel, a été utilisé afin de véhiculer cette approche universaliste. J’examinerai la fonction du trope visuel des crânes d’Asmat dans le film de Pierre-Dominique Gaisseau, Le ciel et la boue (1961), pour montrer comment des classifications hiérarchiques de la technologie ont été utilisées pour organiser des récits sur l’humanité, notamment dans les musées ethnographiques, et la manière dont une classe particulière d’objets a été utilisée, en tant que sujets de film, pour identifier et/ou combler des fossés culturels et temporels entre les peuples.
Cette présentation fait partie d’une thèse plus large sur les technologies de la médiation dans les collections et les méthodes de recherches cinématographiques du Musée de l’Homme. Ce que j’appelle les « technologies de la médiation » (les masques et autres outils de communication spirituelle et culturelle tels que les crânes d’Asmat) forment un sujet ambivalent et survalorisé dans les films réalisés pour le musée. Ces objets, souvent utilisés à des fins de communication dans leur contexte autochtone, étaient ambivalents car ils évoquaient à la fois « altérité » et « familiarité » pour un observateur occidental. Pour les réalisateurs, ces objets sont devenus des symboles marquants, ou des manifestations de la différence culturelle. De plus, ils étaient l’occasion d’une reconnaissance pour ces réalisateurs, qui essayaient toujours de s’approprier les spécificités du cinéma comme nouvelle technologie de médiation, et son potentiel pour communiquer à travers les frontières culturelles et promouvoir la compréhension des peuples – ainsi qu’une idée plus mystérieuse : ces technologies pourraient, peut-être, transcender de plus grandes limites, telles que celle entre la vie et la mort.
Du colonialisme à l’universalisme, de l’art mondial à l’histoire de l’art globale : les plâtres d’Angkor dans une perspective transculturelle des collections de musées
Outre la marchandisation d’objets originaux provenant d’Orient comme objets de musées destinés à la curiosité occidentale, le transfert et l’exposition de l’architecture monumentale asiatique constituaient pour les métropoles européennes un puissant moyen de s’approprier le patrimoine culturel bâti des colonies. Répondant à une exigence scientifique dans la recherche sur les musées d’architecture jusqu’à aujourd’hui du point de vue de “l’histoire de l’art globale”, cet exposé étudie le médium des moulages de plâtre comme stratégie coloniale précoce de transfert et de substituts de l’architecture orientale pour les espaces muséaux européens nouvellement créés. En mettant l’accent sur les plâtres du temple cambodgien d’Angkor Vat du musée Indo-chinois de Paris (vers 1880-1930) récemment redécouverts, et les collections du Völkerkundemuseum de Berlin, cette contribution développe une perspective transculturelle à propos des musées (pré-)coloniaux d’architecture au XIXe siècle, et interroge la manière dont ces présentations de collections ont contribué à développer une notion « universelle » de l’art et de l’architecture. Enfin, elle étudie les tendances muséologiques récentes qui redéfinissent la valeur de ces moulages, de sources secondaires pour l’art et de l’architecture à des sources premières pour une histoire « globale » des collections.
Permission de représenter? La pratique artistique contemporaine en Palestine et le paradigme de «l’art global»
Cet exposé cherche à remettre en question la notion de musée en tant qu’institution prétendument globale, et de lieu paradigmatique de production et de représentation des processus d’échange et de mobilités : si nous envisageons le musée comme un modèle qui génère lui-même du sens, à la fois dans une perspective historique et contemporaine, nous sommes inévitablement confrontés à une question très fondamentale: que se passe-t-il si la prétention universaliste du musée est en réalité le résultat d’un résonnement circulaire de longue date?
Au cours de la dernière décennie, les artistes et les institutions artistiques en Palestine ont développé des activités et des interventions qui soulèvent de telles questions. L’exposé se concentrera à titre d’exemple sur l’initiative de Khaled Hourani “Picasso en Palestine” et sur le “Musée Palestinien d’Histoire Naturelle et Humaine” de Khalil Rabah. Ces deux exemples mettent en relation les épistémologies muséales avec des facteurs géopolitiques spécifiques. Tout en œuvrant dans la matrice d’un art « global » et d’un réseau d’exposition, ils révèlent les possibles « pièges » de la pensée universaliste.
L’art contemporain, seul art universel?
L’art contemporain permet aujourd’hui de créer ce que j’appelle des « tiers musées » qui font dialoguer des traditions muséographiques diverses (musées d’art, d’histoire, d’anthropologie etc.), et forment les communautés de publics à des approches multi-perspectivistes. Le concept d’ «intermuséalité », fondé sur celui d’intertextualité (pour les textes littéraires), découle de ses pratiques.
Cette notion me paraît très utile pour décrire la mutation, appuyée sur l’art contemporain et la révolution digitale, qu’opèrent les musées aujourd’hui pour refonder (en mieux) la notion de musée universel dont l’universalité reste encore trop de surplomb et de tradition.
Le Weltmuseum de Vienne est-il ou non un musée universel ?
Après des années de fermeture en raison de la rénovation de son exposition permanente, le Weltmuseum de Vienne a rouvert l’automne dernier. Quatorze galeries parlent de la diversité culturelle et des relations entre les cultures – et peuvent amener ses visiteurs à s’interroger sur eux-mêmes. Le Weltmuseum s’efforce de faire en sorte que ses publics ressortent du musée en ayant fait l’expérience de l’universalité humaine.
Le Weltmuseum a rompu avec ses prétentions initiales. Le monde entier ne peut être reconstitué dans des ambitions encyclopédiques au sein d’un musée, comme on pouvait le croire jadis. Par conséquent, les anciens systèmes de catégorisation dans les musées ethnologiques, tels que «Afrique», «Chine», ou «Islam» ne fonctionnent plus. Ce sont plutôt de petites histoires qui sont racontées et mises en scène avec des objets, laissant place à l’émergence de « l’Autre ». Nous ne pouvons faire davantage que d’ouvrir de tels points de vue, où seul un nombre limité de sujets peut apparaître. Une série de telles histoires propose une image de la diversité des expressions culturelles.
D’autres approches théoriques ont démasqué la position du musée en tant qu’institution faisant autorité, avec une seule et unique perspective d’approche, quand il s’agit de parler de «l’Autre». Le musée comme porteur de discours systématiques n’est pas manifeste. Le musée s’est divisé en une pluralité de narrateurs. Cela est beaucoup plus honnête que toute objectivité simulée et que toute prétention à la vérité. Cette honnêteté s’accompagne du risque que les visiteurs soient déçus de ne pas recevoir une explication simple – et absolue – du monde, qu’ils peuvent comprendre comme une vérité incontestée.
A la suite de ces considérations, l’exposé présentera la nouvelle exposition permanente du Weltmuseum de Vienne.
La nouvelle universalité du Musée de l’Homme
Avec les années 2000 et le départ de ses collections africaines, océaniennes, asiatiques et américaines au musée du quai Branly, le nouveau musée de l’Homme, après d’une transformation complète, s’affiche depuis fin 2015 comme délibérément ancré dans la modernité et l’actualité de la saga humaine : de nos lointaines origines aux scénarios de demain. Il déclame ainsi la prodigieuse histoire de notre espèce homo sapiens sur la planète Terre, en trois questions clés qui scandent son parcours : qui sommes nous? D’où venons nous? Où allons nous? Dépassant les temporalités et les frontières disciplinaires, dans une nouvelle forme d’universalité, le musée de l’Homme de ce début du XXIe siècle éclaire la complexité des sociétés humaines pour aborder les problématiques actuelles de notre monde contemporain.
Le Humboldt Forum à Berlin
Avec une ouverture prévue en 2019, le Humboldt Forum installé dans le château de Berlin reconstruit abritera les collections de l’ancien Musée Ethnologique et du Musée d’Art Asiatique des Musées d’Etat de Berlin, ainsi que des objets choisis provenant des collections de l’université Humboldt et du musée municipal. Avec les collections des musées nationaux sur l’île aux Musées de Berlin, comme l’Altes Museum, le Neues Museum ou le musée de Pergame, le Humboldt Forum deviendra, comme son site internet l’annonce, un « centre de la culture mondiale ». En retraçant les transformations du concept du Humboldt Forum à travers des brochures, sites internet, articles de journaux et autres publications, j’examinerai comment l’idée d’un « musée universel pour le XXIe siècle » repose sur des concepts tels que l’historique cabinet de curiosités (Wunderkammer), le « Cosmos » d’Alexander von Humboldt ainsi que sur celui du musée comme « laboratoire participatif » pour produire, partager des connaissances et « comprendre le monde ». En s’intéressant aux contextes historiques et urbains du Forum Humboldt et de ses collections, et en me basant sur des controverses récentes à propos de provenance et de pratiques d’acquisition, de restitution et de rapatriement, de perspectives eurocentriques vs postcoloniales ou post-impérialistes, j’explorerai également des questions d’universalité qui ont été jusqu’ici négligées dans le débat berlinois. J’argumenterai que, mis à part la recherche de provenance, les musées doivent examiner la façon dont les notions (historiques) d’universalité ont façonné les collections, les récits et les expositions. Comment le Humboldt Forum s’est-il appuyé sur les notions (historiques) d’universalité pour considérer ses collections comme un patrimoine « partagé » (plutôt que contesté)? Quel est le lien entre les notions d’universalité, de recherche et de savoir que les musées et les universités ont établi ? Comment les musées pourraient-ils remettre en question leurs propres récits sur la découverte des cultures et la conservation des artefacts, et prendre en compte leur rôle dans la production du patrimoine culturel?
Figures de l’universel au Louvre Abu Dhabi
Le Louvre Abou Dabi a dès l’origine pour ambition d’être un musée universel. Cette injonction initiale, dont on rappellera la généalogie significative lors de notre communication était un véritable défi. Il faut dire que l’on ne savait pas ce que ce terme impliquait réellement, vu qu’aucun musée « encyclopédique » ne l’était vraiment. Il nous fallait admettre également combien le terme universel est mal compris et lourdement entaché d’ethnocentrisme aujourd’hui. Il a longtemps été utilisé dans une volonté de convergence des sociétés du monde aux valeurs diffusées par l’Europe dite « moderne ». Le terme est encore en France lié à une certaine culpabilité néocoloniale. La preuve en est la difficulté, voire la gêne, à penser que l’on puisse chercher à se référer à une vision globale après soixante ans de décolonisation et autant de décennies de remise en cause des grands récits.
Au Louvre Abu Dhabi le terme ne pouvait être abordé que dans le sens qu’il prend dans le contexte muséal, où se sont exprimées deux figures de l’universalisme des Lumières : « l’universalisme du musée » avec son ambition encyclopédique, et la notion de « musée universel », qui se rapporte plus à des valeurs humanistes. Le Louvre Abou Dabi est ouverts à l’ensemble des civilisations mais, au regard d’un espace et d’un nombre d’œuvres limité, et surtout de son ambition philosophique, ce sont foncièrement les valeurs de l’humanisme qui l’animent. Le musée universel ne peut plus prétendre à l’universalité et se devait de proposer une mise en intelligence, en récit pourrait-on dire, des savoirs accumulés.
Forte de ces prémices méthodologiques l’équipe a ainsi engagé une réflexion pour élaborer une narration pour que cette notion de musée universel et de dialogue des cultures ne soit pas qu’une rhétorique, le parcours imaginé au Louvre Abou Dabi vise ainsi à retracer l’histoire mondiale depuis la Préhistoire à l’époque contemporaine en associant tous les continents. Dans cet itinéraire, le dialogue interculturel s’est matérialisé par un décloisonnement des départements muséaux historiques et une ouverture de leurs collections au dialogue. Les vis-à-vis et les face à face ainsi provoqués sont une invitation au déverrouillage conceptuel de l’histoire des civilisations dans une vision globale que le regard monographique et segmenté en départements a tendance à esquiver. Dans ce contexte, les enjeux de décentrement du regard et de réévaluation des terminologies étaient importants.
Enfin, pour les Emirats Arabes Unis, cette proposition devrait avoir des effets probables sur les enjeux liés à la construction identitaire d’un pays jeune et en pleine effervescence. La question de l’identité est souvent vue dans le prisme des crispations auxquelles elle donne lieu. Au Louvre Abou Dabi, la muséographie décloisonnée vise à proposer, avec les mises en regard d’œuvres issues de cultures différentes, une construction identitaire pensée non pas dans la distinction ou dans le renforcement de la différence mais, perspective plus féconde et plus sage, dans sa conjugaison à celle des autres. Le musée universel est une invitation à penser la construction des identités dans la pluralité. Là s’exprime sans doute une des nouveautés profondes de ce premier musée universel hors d’Occident : une invitation à s’ouvrir aux valeurs humanistes de l’identité universelle pour un pays riche du caractère fortement transnational de sa population.
Vers une histoire des musées vernaculaires en Chine pour une ère des universalismes multiples
Alors que la Chine a accru son pouvoir économique et son influence internationale au cours des dernières décennies, les chercheurs chinois et internationaux ont initié un vif débat sur les visions du monde et les universalismes chinois et comment ils pourraient contribuer à une nouvelle vision globale. Un idéal chinois d’univers moral prétendument englobant, qualifié de Tianxia, ou « tout sous un même ciel », pourrait-il fournir une alternative à un système d’Etat-nation devenu insoutenable? Que nous en venions à nous poser une telle question suggère que l’hégémonie d’un ordre mondial dérivé de l’Occident est en sursis.
Même si un idéal de « tout sous un même ciel » ou tout autre universalisme chinois n’est guère prêt à recomposer l’ordre mondial à court terme, la puissance internationale croissante de la Chine soulève néanmoins des questions sur la manière dont ses universalismes alternatifs pourraient avoir un impact sur les lieux culturels à long terme, y compris le musée. Il serait aisé de conclure que la Chine n’a pas de modèle alternatif de musée à offrir au monde, et qu’elle reste, au contraire, prompte à adopter des modèles occidentaux, dans le but d’affirmer la force de la nation et son influence mondiale. Cette imitation continue est manifeste dans la création récente du Musée des Beaux-Arts de Pékin sur un modèle encyclopédique d’art mondial. Outre ces musées dérivés, la Chine a une longue histoire de pratiques muséales vernaculaires et d’institutions qui ont peu attiré l’attention des chercheurs, mais qui méritent d’être approfondies, en particulier dans le contexte d’un équilibre mondial changeant. Cet exposé examine le cas de la Xiling Seal Society (fondée en 1904) et montre de quelle manière elle pouvait anticiper les caractéristiques des musées du XXIe siècle, en accordant de l’importance au patrimoine immatériel, et en alliant conservation et marchandisation.
Biographies
Hervé Inglebert est professeur d’histoire romaine à l’Université Paris Nanterre. Il est le chercheur principal du project UHUM en France.
Kate Hill enseigne histoire à l’université de Lincoln et a étudié et publié de nombreuses publications sur les musées locaux et régionaux, les collections et les attitudes envers le passé en Grande-Bretagne au XIXe siècle. Ses livres comprennent Culture and Class in English Public Museums 1850-1914 (Ashgate, 2005), Museums and Biographies (Boydell and Brewer, 2012), et Women and Museums 1850-1914… (Manchester University Press, 2016). Elle est co-rédactrice en chef du Museums History Journal et présidente du Museums and Galleries History Group.
François Mairesse est professeure de muséologie à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.
Mark O’Neill est président de jury pour l’European Museum of the Year Award, un professeur associé au Collège des arts de l’université de Glasgow, et un consultant pour Event Communications, Londres. En tant que anicien directeur de Glasgow Museums, Mark était directeur de la politique et de la recherche pour Glasgow Life, l’œuvre caritative qui offre des services artistiques, muséologiques, bibliothécaires et sportifs à la ville de Glasgow, de 2009 à 2016. En tant que conservateur principal et puis président de Glasgow Museums de 1990 à 2009, il a dirigé les équipes établissant le seul musée des religions du monde au Royaume-Uni, fondé l’Open Museum (un service de proximité primé), rénové Kelvingrove Art Gallery & Museum et créé le Riverside Museum (Musée européen de l’année 2013) qui a été conçu par Zaha Hadid. Il s’intéresse aux fins historiques et sociales de musées aussi bien que les prestations de santé de la participation culturelle.
Mirjam Shatanawi est conservatrice des collections du National Museum of World Cultures aux Pays-Bas. Les expositions qu’elle a co-organisé comprennent The Sixties: A worldwide happening (2015), Sacred Places (2014), Escher meets Islamic Art (2013), Palestina 1948 (2008-2010), et Urban Islam (2003-2006). Ses intérêts actuels comprennent la répresentation des arts et cultures islamiques et du Moyen-Orient dans les musées européens. Son livre Islam at the Tropenmuseum (Arnhem: LM Publishers, 2014) offre une analyse historique de 150 ans de la collecte des artefacts islamiques au Tropenmuseum d’Amsterdam.
Marie-Sophie Corcy est historienne et directrice des Collections au Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris.
Françoise Mardrus est cheffe de service, responsable du Centre Dominique-Vivant Denon au Musée du Louvre (direction de la recherche et des collections). Créé en 2016, le Centre est un lieu d’étude et de recherche dédié aux professionnels des musées, aux chercheurs et à tous ceux qui s’intéresse à l’histoire du Louvre et des musées. Auparavant, elle a dirigé la coordination des grands projets du musée du Louvre en tant que chargée de mission à la Direction générale du musée, à sa sortie de l’École nationale du Patrimoine (1989 – 2013). Elle contribue à la recherche sur les évolutions majeures de l’institution muséale au cours des trente dernières années par son enseignement à l’École du Louvre et dans des institutions partenaires (elle a une maîtrise en « métiers des musées » de la Sorbonne Abu Dhabi).
Pascal Griener est: ancien élève de l’École des Hautes Études, Paris, et à l’École du Louvre, Paris ; docteur de l’Université d’Oxford, où il a travaillé sous la direction de Francis Haskell; professeur d’histoire de l’art et de muséologie à l’Université de Neuchâtel, Suisse, dès 1995; ancien professeur invité au Collège de France; en 2017, titulaire de la Chaire du Musée du Louvre; et, en 2018, nommé Slade Professor of the History of Art, University of Cambridge, pour l’année universitaire 2023-24. Son livre récent est intitulé Pour une histoire du regard: L’expérience du musée au XIXe siècle (Hazan: Paris, 2017) [La Chaire du Louvre].
Nélia Dias est professeure au département d’anthropologie, au institut universitaire de Lisbonne (ISCTE-IUL), CRIA, Portugal. Elle effectue des recherches sur l’histoire de l’anthropologie française, les musées et pratiques de collecte ethnographiques, et l’histoire culturelle. Elle est l’auteure de Le Musée d’Ethnographie du Trocadéro (1878-1908), Anthropologie et Muséologie en France (CNRS, 1991) et La Mesure des Sens. Les Anthropologues et le corps humain (Aubier, 2004), et co-éditrice de Endangerment, Biodiversity and Culture (Routledge, 2016) et de Collecting, Ordering, Governing: Anthropology, Museums and Liberal Government (Duke University Press, 2017). Elle étudie actuellement les affinités entre les études anciens et l’enquête ethnographique au début du XIXe siècle en France.
Sophie Hopmeier est étudiante au doctorat au département d’études cinématographiques de l’université de St Andrews. Elle effectue des recherches sur les technologies de médiation dans les collections et les méthodes de récherche cinématographiques du Musée de l’Homme. Actuellement, elle est rédactrice en chef de Frames Cinema Journal. Elle a des diplômes en histoire de l’art et études cinématographiques de l’université de Sydney, Australie (2009) et un baccalauréat en beaux-arts du National Art School, Australie (2012). Elle est récipiendaire de la bourse complète du département d’études cinématographiques et la bourse de St Leonards de l’université de St Andrews, et elle est récemment revenue d’un voyage de recherche à la région Asmat de Papua, l’Indonésie, qui a été financé par le Russell Trust Postgraduate Award.
Michael Falser a une formation d’architecte et est un historien de l’art de Vienne. De 2009 à 2017 il a travaillé comme chef de projet au Chair of Global Art History, Cluster of Excellence “Asia and Europe in a Global Context: The Dynamics of Transculturality”, Université de Heidelberg. En 2014, il a reçu son habilitation avec une étude de l’étude transculturelle sur le temple d’Angkor/Cambodge et depuis 2018 il a été professeur qualifié en art contemporain et histoire architecturale (22ème section du CNU). Après des engagements aux universités de Vienne, Kyoto et Bordeaux-Montaigne, il est actuellement professeur invité au Département d’art et d’archéologie de Sorbonne Université; en donnant des cours sur l’histoire d’art et d’architecture mondiale et sur les études du patrimoine culturel euro-asiatique au Centre de Recherche sur l’Extrême Orient (CREOPS) et au Centre André Chastel, il se concentre sur l’archéologie coloniale, les études muséales et la conservation historique en Indochine française. Sa monographie en deux volumes Angkor Wat: A Transcultural History of Heritage sera publiée en octobre 2018 (De Gruyter: Berlin).
Eva-Maria Troelenberg est professeure et présidente d’histoire de l’art moderne et contemporain à l’Université d’Utrecht. De 2011 à 2018, elle était directrice du groupe de recherche Max Planck “Objects in the Contact Zone – The Cross-Cultural Lives of Things” à Kunsthistorisches Institut à Florence (l’Institut Max Planck). Elle effectue des recherches sur les processus d’échange interculturels de 1800 à aujourd-hui, notamment entre le monde arabe et l’Europe. Elle est co-rédactrice de Images of the Art Museum: Connecting Gaze and Discourse in the History of Museology (with M. Savino) et l’auteure de la monographie Mshatta in Berlin: Keystones of Islamic Art.
Thierry Dufrêne est actuellement professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris Nanterre. Il a récemment publié Salvador Dali: double image, double vie (Hazan: Paris, 2012) et La poupée sublimée: Quand Niki de Saint Phalle et les artistes contemporains font des poupées (Skira: Paris, 2014). Il a été co-commissaire de plusieurs expositions comme Salvador Dali au Musée national d’Art moderne (MNAM) (novembre 2012 – avril 2013) et Persona: Étrangement humain au Musée du Quai Branly à Paris (janvier – octobre 2016) dont il a co-dirigé la publication des catalogues. Il est commissaire de l’exposition L’Invention de Morel d’Adolfo Bioy Casarès et l’art contemporain, à la Maison de l’Amérique latine à Paris (février – juillet 2018) et la Bibliothèque Nationale d’Argentine à Buenos Aires (automne – hiver 2018-19), et prépare un ouvrage sur la sculpture contemporaine.
Christian Schicklgruber est directeur du Weltmuseum à Vienna, depuis le 1er janvier 2018. Pendant les 25 dernières années, il était le chef de ses collections himalayens et de l’Asie du Sud et Sud-Est. Il a été diplômé des départements d’anthropologie sociale et culturelle et des études tibétaines et bouddhistes à l’université de Vienne. Au cours des dernières décennies il a transformé les expériences et réflexions qu’il a acquis pendant le vaste travail de terrain ethnologique dans l’Himalaya et l’Asie du Sud-Est en diverses expositions.
André Delpuech est directeur du Musée de l’Homme, après avoir été responsable des collections des Amériques au Musée du quai Branly.
Annette Loeseke travaille comme chargée de cours en muséologie à l’Université de New York à Berlin et comme conférencière externe en études des visiteurs à la Reinwardt Academy d’Amsterdam University of the Arts. Elle a étudié l’histoire de l’art et la gestion culturelle dans les universités de Fribourg, Munich, Paris et Londres. Elle a un doctorat en histoire de l’art de l’Université de Bonn, Allemagne.
Jean-François Charnier est directeur scientifique de l’Agence France-Muséums, depuis 2013. Il a rejoint la société en janvier 2008 en tant que conservateur, en archéologie, et il a étudié l’histoire de l’art et l’archéologie à l’École du Louvre ainsi que l’anthropologie à l’Université Paris Nanterre.
Elizabeth Lawrence est professeure adjointe d’histoire à la Ball State University, Indiana, États-Unis. Avant de se joindre au département d’histoire de Ball State en 2014, elle avait obtenu son doctorat en langues et cultures d’Asie de l’Est à l’université de Columbia. Elle se spécialise dans l’histoire de la Chine moderne et ses intérêts comprennent la culture matérielle et visuelle, l’héritage et les musées, et l’histoire des sceaux calligraphiquement inscrits et de l’antiquarisme en Chine. Sa présentation aujourd’hui concerne son project de livre actuel.
Sandra Kemp est chercheure principale à le V&A et ICL, et sur le projet «Histoires universelles et musées universels».